Cœur d’épi

IMG-20181102-WA0145

Quant au papier toilette, était-il vraiment indispensable ? Pourquoi ne pas s’aligner sur les villageois et utiliser comme eux des cœurs d’épi de maïs et des feuilles de malva. Abi, la femme du marchand Aladji, ne lui avait-elle pas confié un jour qu’elle-même ne se servait pas de ce papier qu’elle vendait ? Et que dans sa culture la coutume exigeait qu’on se rinçât à l’eau ? Pourquoi ne conserverait-elle pas, elle, Awu, sa coutume ? Non pas qu’elle n’eût jamais essayé. Mais cela avait été occasionnel. Et ces occasions avaient toujours été très particulières. En effet, la cabinette qui abritait la fosse septique était le seul endroit où toute intimité fût réellement possible. Ces quatre murs d’écorce et ce petit toit de paille connaissaient d’Awu-dabiran’ plus d’un secret. Ne l’avaient-ils pas observée chaque fois qu’elle s’était accroupie et qu’elle avait promené son regard des épis de maïs égrénés aux branches de malva, le tout déposé à même le sol, sur une planche que recouvraient des feuilles de bananier ? Ces murs d’écorce et ce toit de paille, les seuls confidents qu’elle ait jamais eus, savaient qu’elle trouvait plus juste de se servir des rafles de maïs. C’étaient pour eux une fin naturelle. La fin de leur parcours au sein de la nature.

 

extrait de: Justine Mintsa, Histoire d’Awu, Gallimard, Continents Noirs, 2000, p. 65.

Publicité

Coudre la vie au point de chaînette

Je n’aime pas les couvertures de la collection Continents noirs de Gallimard. Une poignée de terre jetée sur un fond blanc cassé, veut-on si vite enterrer la littérature africaine ? Protégé par du papier cellophane, jauni et pourtant neuf, depuis combien de temps ce livre-là attendait-il sur les tables de la librairie Star ?

Awudabiran’, maîtresse de couture, devint la deuxième épouse de l’instituteur Obame Afane, quand celui-ci eu compris qu’aucun fruit ne naîtrait de son premier mariage. Awu était bien fertile, Obame avait pris soin de s’en assurer. Le jour du mariage, un enfant était déjà né, deux autres – des jumeaux, quelle bénédiction ! – étaient annoncés.

L’Histoire d’Awu dévide lentement les grandes étapes de la vie familiale, des naissances aux décès, de la vie active à la retraite. Je tournais lentement les pages, sous le charme d’une écriture très travaillée, emportée par les pensées d’Awu, et c’est moi qui me suis piquée aux va-et-vient de son aiguille. Le roman dénonce, sans qu’on s’y attende, comme un secret échappé au détour d’une conversation chuchotée, la barbarie et la misogynie des rites coutumiers. C’est encore trop simple, résumé ainsi. Des femmes participent à cette violence ou l’encouragent. Peu la condamnent. Celles qui résistent le font hors du village à l’instar de Ntsame, ou bien comme Awu, elles se construisent une forteresse intérieure.

C’est l’imagination qui sauve Awu. Elle lui permet de faire face à la rudesse du quotidien et à l’indifférence de son mari, et de croire encore en la tendresse.

L’Histoire d’Awu mérite un autre habit. Imaginons pour elle une couverture brodée au point de chaînette, avec un fil d’une grande finesse et des nuances délicates, ça lui irait si bien.

à propos de : Justine Mintsa, Histoire d’Awu, Gallimard, Continents Noirs, 2000